Changement des pratiques de plaisance et abolition partielle des grilles de mouillage ?

La « révolution » de la plaisance, avec notamment l’accroissement de la plaisance collaborative, pourrait impliquer de nouvelles conditions de gestion des bassins des ports : La grille de mouillage est-elle obligatoire et nécessaire ? Quelle est la latitude de l’autorité portuaire ou du gestionnaire pour la modifier (voire s’en passer) ?   

PhRi strategy superyachting, « stratégie plaisance » et Maître Boulineau d’Oceanis-avocats,  spécialisé droit du littoral et de la plaisance, confrontent leurs points de vue.

PhRi strategy : Tous les ports, quels que soient leurs statuts, affichent une grille de mouillage : division du (ou des)  bassin (s) en petits rectangles, définis par une longueur et une largeur. Chacun peut être occupé par un bateau qui n’excède pas cette surface, ni en longueur et ni en largeur. Tous les gestionnaires constatent depuis longtemps que pour une même longueur, les bateaux sont de plus en plus larges, et donc « débordent » de la surface attribuée. Ceci conduit à leur proposer des places plus grandes, avec des longueurs qui excèdent celles du bateau accueilli. Si la tarification est établie à la surface de la place, le gestionnaire est gagnant au détriment du plaisancier … Bref ! La dite grille de mouillage présente des enjeux financiers mais aussi organisationnels. Si la tendance est à l’augmentation du partage (sous toutes formes, location incluse), il pourrait être intéressant de se donner la possibilité de gérer un bassin plus souplement en s’affranchissant du carcan de la dite grille … Et ceci d’autant que la souplesse d’attribution des places facilite les escales. 

Bien évidemment, il ne s’agit pas de placer un navire de six mètres entre deux yachts de trente mètres ! Ils doivent aussi manœuvrer. On pourrait concevoir une grille non plus de petits rectangles, mais d’espaces réservés à une certaine catégorie de longueur (soit un ou plusieurs pontons réservés par exemple aux 12 – 16 mètres, etc …), avec une place attribuée selon la disponibilité. Corrélativement, la tarification se fait à la surface effectivement occupée : la longueur par la largeur du navire. Des logiciels (smartwaters) permettent aisément une telle gestion. 

Une telle pratique conduit à une meilleure rentabilité et satisfait le plus grand nombre de plaisanciers, notamment au moment des périodes de forte fréquentation. Elle nécessite aussi, de la part du gestionnaire, plus de vigilance et la vérification de manœuvres ainsi que la qualité des amarrages. Elle n’empêche pas, aussi, de satisfaire les habitudes de plaisanciers « attachés » à leur place habituelle. 

L’autorité portuaire ou le gestionnaire ont-ils la latitude de modifier le format de leur grille de mouillage, voire de la supprimer ? et donc de répondre plus facilement aux nouveaux usages ? 

Oceanis-avocats :

Par essence le plan d’eau fait partie du domaine public portuaire, imposant le respect, à tout utilisateur ou gestionnaire, des règles propres de la domanialité publique pour cette occupation. Le Conseil d’Etat se fait fort d’inclure dans les dossiers qui lui sont soumis la sécurité des biens et des personnes, ainsi que le bon emploi des outillages et des ouvrages portuaires (voir notamment CE 4 octobre 2004 SARL CHT/SEMAGEST req 259525). 

Parallèlement, dans les ports de plaisance, les pouvoirs de police qui permettent d’assurer la sécurité, la salubrité ou encore l’usage du domaine portuaire et de ses infrastructures appartiennent à l’exécutif local compétent. (L.2212-2 CGCT)

L’exploitant du port de plaisance (privé ou public) dispose également des compétences nécessaires pour assurer une gestion efficace de l’infrastructure. Nous pourrions même dire qu’il a l’obligation d’assurer une gestion efficace, c’est en tout cas dans le sens de l’histoire des finances publiques locales. Rationnaliser l’utilisation du plan d’eau ne contreviendrait donc pas au respect des règles de domanialité, entrerait dans le giron des compétences de l’exploitant, et deviendrait presque une obligation du gestionnaire. Aucun texte ne s’y opposerait de prime abord.

 En revanche, une limite peut apparaitre dans le cadre de la réaffectation des places aux plaisanciers qui ne doit, à aucun moment, restreindre leur liberté fondamentale d’aller et venir et d’utilisation de leur navire. Par ailleurs, si une modification doit intervenir, il va de soi qu’elle doit être mise en œuvre en respectant la sécurisation de l’utilisation autant pour les personnes que pour les biens. Enfin, dans bon nombre de cas, mise à part la question des garanties d’usages, les autorisations d’occupation du domaine public sont annuelles et laissent de la flexibilité au gestionnaire pour redistribuer régulièrement les cartes.

PhRi strategy : l’autorité portuaire (la commune) a donc une grande latitude pour modifier la gestion du plan d’eau. Or, de celle-ci dépend une quantité de professionnels et services et donc d’emplois, sans compter la rentabilité du port, sa capacité d’investissement et du montant de la redevance versée à la commune … 

Les élus pensent souvent et d’abord « infractructures » … le sujet ne peut être certes éludé, mais la manière d’organiser le plan d’eau, après une écoute attentive des intérêts et attentes de toutes les catégories de professionnels, est un sujet tout autant central. 

N’est ce pas une des clés du port du futur ?